Pour restaurer ou renforcer le lien avec le public, si on commençait par l’écouter ? Ce fut une thématique récurrente du festival d’information locale qui s’est tenu à Nantes
La question de l’interaction avec les lecteurs est vraiment mon dada. Je suis convaincu que c’est l’un des facteurs décisifs de restauration non seulement de la confiance, mais aussi des modèles économiques des médias.
Plusieurs voix se sont exprimées en ce sens lors du FIL, à ma grande satisfaction.
Pierre France notamment, de Rue89 Strasbourg est venu expliquer comment son site s’attache à développer un journalisme d’engagement, à l’écoute du public et perçu comme utile.
1. Aller à la rencontre des lecteurs-citoyens
Le journalisme de Rue89 Strasbourg, va assez loin dans l’action, comme le décrit son rédacteur en chef à travers quelques opérations qu’il a menées :
- Les « Quartiers connectés ». Il s’agissait d’organiser des conférences de rédaction ouvertes dans les quartiers populaires de Strasbourg.
Les journalistes sont allés à la rencontre des habitants de ces quartiers, pour recueillir leurs préoccupations, et tâcher de les aider éventuellement.
Ils se sont appuyés pour ce faire sur les associations du quartier connues et reconnues. Grâce à cela, ils ont pu réunir un public par nature méfiant vis-à-vis des personnes étrangères à leur communauté, en particulier les médias.
Première leçon : les sujets des « gens » ne se sont pas des sous-sujets : faible accès aux services publics, aux transports, à l’information, à la bureaucratie… Autant de questions qui concernent une bonne partie de nos concitoyens en général !
Ils y ont donc puisé des sujets qui intéressaient vraiment leur audience.
Puis, ils ont joué le rôle d’intermédiaire pour résoudre les problèmes des habitants en les relayant dans leurs pages. Bizarrement les personnes concernées ont reçu un appel de leur bailleur social qui s’intéressait enfin à cet ascenseur en panne depuis des mois, à ce local à poubelle inaccessible etc.
Quelquefois même, ils sont allés encore plus loin, en passant eux-mêmes quelques coups de fil. On retrouve ici l’esprit de la radio originelle – de Max Meynier « Les routiers sont sympas » à Julien Courbet « ça peut vous arriver ».
- Les « Apéros des possibles ».
source: Rue89
Avec ces événements, Rue89 Strasbourg touchait un public bien différent : celui des ultra-informés du centre ville, pour partie abonnés au site, engagés, ayant une forte volonté d’action, et d’impact souhaité sur les politiques publiques.
Là encore, Rue89 Strasbourg a récolté une foule d’idées de sujets directement inspirés par la communauté, sujets perçus naturellement comme beaucoup plus utiles, car en prise avec leurs préoccupations à eux.
A titre d’exemple, ce sont les citoyens qui leur ont fait part du problème des billets de transports réutilisables en papier qui s’abimaient, s’écornaient se perdaient et n’étaient finalement que peu réutilisés.
Un échec du point de vue écologique – car l’idée était de produire moins de papier, mais aussi économique – car le billet cartonné coûte 10 centimes à chaque fois. La médiatisation de cette question a conduit la Compagnie des transports strasbourgeois (CTS) à modifier son système en recourant bientôt à des cartes rigides.
Quatre conseils pour bien se lancer
1- Identifier une communauté
Il faut s’adresser à une partie d’une audience, pas à son intégralité. En effet, je confirme, à vouloir toucher tout le monde, on est sûr de n’intéresser personne.
- Peut-être déjà créée ou à créer opportunément
- S’assurer d’une certaine représentativité de cette communauté
2- Etre à l’écoute
- S’assurer d’être inclusif (faire preuve d’humilité, d’écoute)
- Etre prêt à investir du temps (même si 80% des retours ne sont pas exploitables et les contenus éventuellement produits pas réutilisables)
3- Mesurer l’impact de son travail
- Audience des articles publiés
- Effets des articles (parle-t-on de vous, êtes vous identifiés, ont-ils le sentiment que vous êtes utiles ?)
- Des projets sont-ils nés de cette opération ?
4- Accorder sa confiance pour susciter la confiance
- Celle-ci permet de récupérer des infos pour faire mieux et plus vite son travail
- Associer les gens à la production de l’info crée la confiance mieux que tout
- La confiance crée l’adhésion, ce qui se monétise mieux (membership éventuel)
2. Produire un journalisme de solutions, constructif ou d’impact
La démarche de Pierre rejoint celle du journalisme de solutions défendu par moi-même et Reporters d’espoirs. Vision représentée d’ailleurs sur d’autres ateliers, par Nina Fasciaux du Solutions Journalism Network, entre autres.
Comme je le rappelle dans un billet récent, le journalisme de solutions, N’EST PAS le journal des bonnes nouvelles. Ce n’est pas l’édulcoration, l’aseptisation du monde, mais une démarche journalistique plus constructive que la simple relations ou même explication des faits.
Il s’agit de s’inscrire encore davantage dans un engageant citoyen pour examiner les solutions possibles à un problème, quand cela est possible. Ceci, pour répondre à de nouvelles attentes du public.
Celui-ci, gavé d’informations anxiogènes sur lesquelles il a l’impression de n’avoir aucune prise, est de plus en plus enclin à éviter l’information. 32% évitent régulièrement ou parfois les actualités, selon l’étude internationale du Reuters Institute.
C’est aussi une façon de restaurer cette confiance avec le public en pleine déliquescence ces dernières années, comme le montre cette énième étude d’Ipsos de mai 2018 :
D’où cette consultation des Français à l’initiative de Reporters d’Espoirs, en partenariat avec quelques grands médias d’information : Comment les médias peuvent-ils améliorer la société ?
Source: reporters d’espoirs
3. Utiliser WhasApp pour le crowdsourcing (et le push aussi)
David Blanchard, rédacteur en chef de 20 minutes, utilise la messagerie WhatsApp pour toucher directement les lecteurs, à l’instar de plusieurs éditeurs européens.
Cela lui permet aussi de recueillir des témoignages, recevoir des informations ou en tout cas des alertes de ce qui peut se produire ici ou là.
L’application permet de créer des groupes de 256 personnes maximum donc pas de l’info de masse. Les utilisateurs s’inscrivent aux alertes via un lien sur mobile qui ouvre directement leur application WhatsApp.
Ils confirment ensuite leur abonnement en envoyant un message à un numéro de téléphone (celui d’un prestataire, tel WhatApp Business ou Twilio). Charge ensuite aux petites mains de 20 minutes d’enregistrer un par un les numéros de téléphones des inscrits dans des groupes (par édition dans leur cas).
Les atouts de WhatsApp :
- Trouver le lecteur directement sur un canal personnel (comme le sms mobile) pour accroître la couverture de l’audience, mais aussi toucher un nouveau public (plus féminin et plus jeune en l’occurrence).
- Susciter un fort engagement sur les contenus : on peut atteindre 20% d’ouverture !! (contre 0,5 à 3% de taux de clics sur un site ou un message social).
- Faire un sourcing efficace : sur WhatsApp, les réponses sont très qualitatives, pas de trolling !
Les clés du succès
1- Trouver la bonne temporalité du push
Il faut coller aux usages de sa cible. On n’envoie pas une recette de cuisine après déjeuner à 14h. Ce que j’expliquais d’ailleurs dans cet article (dont est tiré l’infographie – moche mais clicable- ci-dessous) :
Source:
2- Adopter un ton différent
Sur ce canal de réception – tout comme celui des SMS – vous êtes au beau milieu de messages de la famille et des amis. Cela implique davantage de proximité, de convivialité, et donc un ton décontracté quand le sujet le permet.
Cela est très bien expliqué et démontré dans cette présentation de Jérôme Pérani, en charge de l’acquisition et la croissance numérique de la branche médias d’Altice :
3- Décentraliser, donner de l’autonomie aux antennes
Depuis 5 ans chaque ville développe ses réseaux et ses canaux de diffusion. Un test « pilote » a été réalisé à Strasbourg, puis a été étendu à Nantes, Marseille et Paris.
Cela permet de valoriser et responsabiliser les équipes, et cela accroît l’efficacité des décisions éditoriales, par la connaissance des actualités qui ont de la valeur pour le lecteur local.
CONCLUSION :
Intégrer davantage le citoyen et le lecteur semble donc une évidence pour de plus en plus de mes confrères, tant mieux ! La restauration de la confiance ne peut passer que par du fact-checking qui hélas, ne prêche majoritairement, qu’auprès des convertis.
Restaurer la confiance est pourtant une nécessité non seulement citoyenne, mais aussi économique. Il ne s’agit pas de faire preuve de complaisance, ni de démagogie. Ni d’oublier ses fondamentaux qui restent la vérification des informations et la mise en contexte de celles-ci pour produire du sens.
Mais le citoyen – perdu par l’infobésité et la cacophonie des messages contradictoires – a besoin de pouvoir s’appuyer sur une source fiable. Une confiance fondée en grande partie sur l’émotion et la relation, pas seulement sur l’argumentation. A l’instar de nos autres décisions d’ailleurs.
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